from [From Une histoire de bleu / From A Story of Blue]

LE REGARD BLEU

Nous connaissons par ouï-dire l'existence de l'amour.

Assis sur un rocher ou sous un parasol rouge, allongés dans le pré bourdonnant d'insectes, les deux mains sous la nuque, agenouillés dans la fraîcheur et l'obscurité d'une église, ou tassés sur une chaise de paille entre les quatre murs de la chambre, tête basse, les yeux fixés sur un rectangle de papier blanc, nous rêvons à des estuaires, des tumultes, des ressacs, des embellies et des marées. Nous écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient puis s'éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de l'amour, et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains.



La mer en nous essaie des phrases.

Depuis des lustres, la même voix épelle le même alphabet dans le même cerveau d'enfant. Elle balbutie des mots vite envolés, accrochés aux herbes des plages, à la peau brunie des baigneurs, à la proue des barques, aux mâtures. Des mots quelconques, pour rien et pour quiconque. Il n'y est question que de l'amour. C'est pourquoi nous ne savons trop que dire et souffrons que le regard d'autrui s'attarde sur notre visage quand nous voudrions qu'il se pose à même notre cœur. Nos lèvres sont si maladroites, notre corps invisible dans la nuit opaque, et nos mains mal-habiles, des éclairs ou des ailes pourtant au bout des doigts.


from A Story of Blue


THE BLUE LOOK

We know through hearsay that love exists.

Seated on a rock or under a red parasol, lying in the field buzzing with insects, our hands clasped behind our necks, kneeling in the cool darkness of a church, or settled on a straw chair within the four walls of the bedroom, head lowered, eyes fixed on a rectangle of white paper, we dream of estuaries, tumultuous surf, clearing weather and tides. We listen to the inexhaustible chant of the sea within us, as it rises and falls in our heads, like the approach and retreat of the strange desire we have for heaven, for love, and all that we cannot touch with our hands.



Within us the sea tries out sentences.

From time immemorial, the same voice spells the same alphabet in the same child's brain. It mutters words which quickly fly off, snagged on the sea grasses, on the bathers' browned skin, on the bows of boats, on the masts. Ordinary words, for nothing and no one in particular. It is only about love. This is why we hardly know what to say and we suffer when someone's gaze fixes on our face, when we would like it to look into our heart. Our lips are so awkward, our body invisible in the opaque night, and our hands inept, yet lightening flashes or wings are at our fingertips.
Source: Poetry (October 2000)